Supra : Abeilles et apiculteurs du Moyen Age (Rouleau Barberini d'Exultet, Bibliothèque vaticane, XIe s.)
Supra : Ruche-tronc (buc) de type cévenol, en partie fabriquée par les soins de l'auteur.
Supra : fin de l'installation des premières ruches de l'auteur (avril 2023).
Supra : deux frelons asiatiques (Vespa velutina) venus piller une ruche protégée par une grille (nov. 2023).
Supra : abeilles (apis mellifica) profitant des rayons du soleil hivernal (nov. 2023).
Supra : l'une des plantations del'auteur autour de son rucher (ici la pervenche, vinca minor).
Supra : quelques abeilles mortes de faim sur leurs réserves hivernales (mars 2024)
Supra : rucher-tronc séculaire près de Barre-les-Cévennes (mars 2023), "déserté" par les abeilles depuis le début de la sécheresse qui frappe aussi les prés et les châtaigneraies du Massif Central.
ITER IN REGNUM APICULARUM / VOYAGE AU ROYAUME DES ABEILLES
1. ENODATIO NONNULLORUM NOMINUM / ÉTYMOLOGIE DE QUELQUES MOTS :
- Abeille : XIVe s., emprunté alors au provençal abelha, du latin apicula dérivé de apis (« abeille »). « Les dialectes indo-européens qui vont du slave à l’indo-celtique ont eu un nom de l’abeille inconnu aux autres langues […] ; ce nom était de la forme *bhei. Il n’est pas impossible que *ap-, *api-, supposé par le latin, ait quelque rapport avec ce mot. » (E. Ernout et A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine : histoire des mots, Paris, Klincksieck, 2001).
- Apicole, apiculteur, apiculture : 1845, mots formés avec le latin apis, sur le modèle d’agricole, etc.
- Buc : nom que l’on donne encore aujourd’hui en occitan et en catalan à ce qui se traduit en français par « ruche-tronc », une ruche creusée dans une portion de tronc (de châtaignier, de pin ou d’arbre fruitier), que l’apiculteur couvre ensuite d’une large pierre plate. Ce mot viendrait du francique *buc (« ventre ») et désigne divers objets creux (J. Bruguera i Talleda amb la col. d’Assumpta Fluvià i Figueras, Diccionari etimològic, Barcelona, Enciclopèdia catalana, 2006). Le mot germanique originel a très vraisemblablement lui-même la même origine celtique que le latin bucca (« bouche », au pluriel « joues »), qui se substitua dans la langue populaire à os et à gena pour sa plus grande expressivité (voir E. Ernout et A. Meillet, op. cit.) – voir ci-dessous ruche.
- Miel : du latin mel (en italien miele, en espagnol miel, etc.) Racine indo-européenne (voir grec meli, islandais mil, etc.), ayant voyagé très loin comme l’abeille, si l’on en croit le nom chinois du miel, prononcé mi.
- Ruche : l’un des rares mots français hérités de la langue gauloise : rūsca, en gaulois, signifiant « écorce », sens conservé par l’ancien irlandais rusc, l’ancien provençal rusca et le catalan rusc (signifiant aussi bien « écorce de chêne-liège » que « ruche »). Chez les auteurs latins classiques, « ruche » se dit alvarium, alveare ou alvus, ou encore vasa (n. pl.), pour désigner divers types de ruches contenant les rayons d’alvéoles qu’y construisent les abeilles : panier, vase, baquet, etc. « Le sens de ruche du gallo-roman et du catalan vient de ce que l’on s’est servi d’écorce pour faire des ruches. » (O. Bloch et W. von Wartburg, Dictionnaire étymologique de la langue française, Paris, P.U.F., 1975) – voir ci-dessus buc.
2. BREVIS EXPERIENTIA MEA DE ALVORUM CURA / MON EXPÉRIENCE DE L’APICULTURE :
Anno MMXXIII incepit haec nova disciplina mea. Tunc quattuor apium examina acquisivi, quorum mihi duo a quodam amico data erant, duo alia a quadam apiaria vendita sunt. Ergo bina ad locum idoneum id est silvestrem, ad meridiem spectantem propeque quemdam rivum autoraeda nocteque (dum apes somnolentae sunt) transportavi. Talis experientia maximo usui eis qui de quaestionibus temporis nostri cogitant semper esse potest. Nam philosophantes omnium generum nimis saepe res e nulla experientia sed de sensu umbratico judicant. Alvis vero curandis homo primum humilitatem discit quod quidem fit discipulus non solum aliorum ac doctiorum hominum sed imprimis apium ipsarum totiusque rerum naturae. Itaque haec est disciplina tam ardua longaque quam digna amore studioque summo. Intelligentiam rerum animamque discipuli auget, quippe quae respondeat ad illam interrogationem : quid homini significat vivere ? - Nempe intelligere ut amet, amare ut intelligat.
C’est en 2023 que commença pour moi cette nouvelle formation. J’acquis alors quatre essaims : un ami m’en offrit deux, une apicultrice m’en vendit deux autres. Je les ai donc transportés deux par deux en voiture et de nuit (quand les abeilles somnolent) dans un endroit parfaitement adapté : boisé, orienté vers le sud et proche d’un ruisseau. Une telle expérience peut toujours être très utile à ceux qui réfléchissent aux problèmes de notre époque, car les intellectuels jugent trop souvent des choses sans se fonder sur la pratique, selon des idées forgées dans leur bureau. Or en prenant soin des abeilles, on apprend d’abord l’humilité, car l’on est à l’école non seulement de gens plus savants que soi mais surtout des abeilles elles-mêmes, et de la nature entière. C’est pourquoi cet apprentissage est aussi difficile et long qu’il est passionnant. Il élève l’âme et l’intelligence. Car il répond à cette question : que signifie vivre, pour un être humain ? - Bien sûr : comprendre pour aimer, aimer pour comprendre.
Anno sequenti mense Februario apes IV alvearium bene valere videbantur. Nam ante minima ostia et in taulis evolandi sole meridiano fruebantur ut se purgarent. Diebus autem illius mensis calidissimis otium necessarium non mihi fuit ut alvearia ipsa aperirem. Ad hoc mensem Martem sine timore expectavi. Error maximus ! Nam tunc post tempus tecta abstuli ita ut IV alvearia vacua tristissimus inspexi : fere omnes apes jamdiu afuerunt, paucaeque remanentes mortis rigore super subsidiis agglutinabantur. Omnes mortuae erant. Quanam de causa ? Praesertim fame.
Au mois de février de l’année suivante, les abeilles des quatre ruches semblaient en bonne santé. Devant leurs petites entrées et sur les planches d’envol, elles profitaient du soleil de la mi-journée pour se nettoyer. Mais je n’eus pas le loisir, durant les jours les plus chauds de ce mois-là, d’ouvrir les ruches. J’attendis sans crainte de le faire au mois de mars. Grave erreur ! Car il était trop tard quand j’enlevai les toits : je découvris avec une grande tristesse quatre ruches vides. Presque toutes les abeilles avaient disparu depuis longtemps, et le petit nombre qui étaient restées étaient figées par la mort, agglutinées sur leurs réserves. Elles étaient toutes mortes ! De quoi donc ? Principalement de faim.
Istaec non tantum rudissimi mellarii sicut ego suscipiunt. Examinibus apium in Europa plura novaque pericula obviam eunt : aestates et autumni sine pluviis ergo sine floribus satis mellificibus, varroae destructores, vespae asiaticae, agricultura moderna, densitas ipsa examinum et ferorum et domesticorum in plerisque territoriis, denique hiemes calidiores apibusque fallaces : nam deminuta tunc examina maturius ex alvearibus evolant ut flores ubique frustra inquirant. Apes igitur imbecilliores fiunt in dies, cum cibum non referant subsidiaque praeteriti anni citius vorent.
Ces pertes ne sont pas le lot des seuls apiculteurs débutants comme moi. Les essaims d’abeilles en Europe affrontent de nouveaux dangers, plus nombreux : les étés et les automnes sans pluie donc sans flore suffisamment mellifère, varroa destructor, le frelon asiatique, l’agriculture moderne, la densité même des colonies sauvages et domestiques dans la plupart des régions, enfin des hivers plus chauds et trompeurs pour les abeilles : car les essaims alors plus petits sortent trop tôt des ruches pour chercher en vain des fleurs de tous côtés. Les abeilles s’affaiblissent progressivement, tandis qu’elles ne ramènent pas de nourriture et consomment trop vite les réserves de l’année précédente.
Hodie in Francogallia quarta pars omnium examinum notorum hiemibus non supersunt. Quod contemporanei nostri Cladem Carpentium Dilapsarum (C.C.D. scilicet Anglico sermone « Colony Collapse Disorder », Francogallico « syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles ») appellant. Quem inauditum in toto orbe casum adhuc nunc scientifica indagatio omnino explanare non potest. Attamen, mea quidem sententia, nonnullae explanationes bonaque consilia in hoc libro Ivonis [Yves] Elie insunt c.t. La Vallée de l’abeille noire, postface de L. Garnery, Actes Sud, 2021. Sic illud experimentum meum sine gloria nec pauca perdita pecunia finem habuit, cum multa dignaque summae attentionis me docuerit.
Aujourd’hui en France un quart de tous les essaims connus ne survivent pas à l’hiver. C’est ce que nos contemporains appellent le C.C.D. (Clades Carpentium Dilapsarum : « Le fléau de l’effondrement des butineuses »), en anglais Colony Collapse Disorder, en français le syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles ». C’est un déclin jamais vu dans le monde entier, que la recherche scientifique ne peut pas encore expliquer complètement. On trouve cependant, à mon avis, quelques explications et de justes remarques dans le livre d’Yves Elie, La Vallée de l’abeille noire, postface de L. Garnery, Actes Sud, 2021. Voilà comment s’est achevée sans gloire et non sans perte d’argent mon expérience de l’apiculture, qui m’enseigna cependant bien des choses très intéressantes.
3. NONNULLI LIBRI DE APIBUS EARUMQUE CURA QUI TANTUM DELECTATIONIS QUANTUM UTILITATIS HABEANT / QUELQUES LIVRES SUR LES ABEILLES ET L’APICULTURE AUSSI PASSIONNANTS QU’UTILES :
- Columellae Liber IX de re rustica / Columelle, De l’agriculture, livre IX. Amplissimus omnium tractatus de Romana apium cura scientiaque. - Le traité romain d’apiculture rationnelle le plus développé.
- P.-H. et F. Tavoillot, L’Abeille (et le) philosophe : Étonnant voyage dans la ruche des sages, Paris, Odile Jacob, 2017. Mirus valde doctissimusque liber a duobus fratribus compositus, altero philosophiae magistro in universitate Sorbonicae, altero alvorum cultore. - Un livre d’une érudition tout à fait remarquable écrit par deux frères, l’un professeur de philosophie à la Sorbonne, l’autre apiculteur.
- E. Tourneret, S. de Saint-Pierre, J. Tautz, Le génie des abeilles, La-Chapelle-sous-Aubenas, Hozhoni éditions, 2017. Tractatus modernus quorum enarrationes simul cum pulcherrimis imaginibus in optimo titulo colligatur. - Traité moderne dont les développements et les très belles illustrations sont résumés dans l’excellent titre.
- I. Arndt [photographies] et J. Tautz [texte], Abeilles mellifères sauvages, trad. P. Bertrand, Paris, Ulmer, 2021. Apis numquam fuit animal ab hominibus vere domitum : hic liber magnificis photographematibus et enodatione doctissima eas apes omnino feras quas vix animadvertimus describit. Illarum autem mores ab alvorum cultoribus intellegendae sunt quo melius apes suas curent magisque conscii mirentur. - L’abeille n’a jamais été un animal vraiment domestiqué par l’homme : ce livre décrit avec des photographies magnifiques et d’érudites explications les abeilles totalement sauvages que nous remarquons à peine. Leurs mœurs doivent être comprises des apiculteurs pour qu’ils soignent mieux leurs abeilles et les admirent en connaissance de cause.
- M. Lihoreau, À quoi pensent les abeilles, Paris, humenSciences / Humensis, 2022. Auctor ut indagator apud CNRS recentiores et mirandissimas inventiones de intelligentia insectis propria praebet, cum eorum cerebra minima sint, ut eas bestiolas non solum admiremur sed etiam respiciamus. Talibus observationibus primum sumptis, quoddam colloquium, ut ita dicam, inter speciem humanam et alia animantia (notio nullo modo cartesiana) quasi res ratione fundata apparet. - L’auteur, chercheur au CNRS, présente les plus récentes découvertes concernant l’intelligence des insectes. Leurs cerveaux sont si petits que ces découvertes suscitent notre admiration mais aussi notre respect pour ces animaux minuscules. Quand on prend pour prémisses de telles observations, la possibilité d’un dialogue, si je puis dire, entre l’espèce humaine et les autres êtres vivants (notion nullement cartésienne) apparaît clairement comme une chose rationnelle.
- (Coll.), Apiculture biodynamique : Vers une pratique respectueuse de l’abeille, Colmar, Éditions du Mouvement de l’Agriculture Bio-Dynamique [MABD], 2018, 2022. Cum modernus vivendi modus verisimiliter causa sit orbis conturbatae magnorumque de futuris metuum, apibus feris et semi-domitis hac ipsa causa ad mortem amplius conductis, tum homines ducuntur ad cogitandum de communicatione sua cum reliquis animantibus. Sic de integro leguntur tales auctores ut Rudolf Steiner, quorum argumenta condita sunt in antiquis et philosophicis notionibus quae quidem esoterica vel etiam mystica implicare possint, plus quam in moderna ratione. Sed compositio quaedam verisimiliter invenienda est, secundum cuiusque animi temperamentum, quo melius accommodemur universali animae, id est quo verius vivamus. In quod apes nos invitant ac juvant. - Au moment où le mode de vie moderne semble la cause de bouleversements mondiaux très inquiétants, et concourt à la disparition croissante des abeilles sauvages et semi-domestiques, la question de la relation de l’humanité avec le reste du vivant fait redécouvrir des auteurs comme Rudolf Steiner, qui fonde son argumentation sur des notions philosophiques très anciennes, aux prolongements ésotériques ou même mystiques, plus que sur la rationalité moderne. Il y a sans doute une synthèse à trouver, selon le caractère de chaque individu, pour mieux collaborer avec la vie animant toute chose, autrement dit pour vivre en vérité. Les abeilles nous y invitent et nous y aident.
- H. Storch, Au trou de vol, trad. J. Mosbeux, Bruxelles, Éditions européennes apicoles, [2010] (6e éd.). Auctor, quidam Germanus, in hoc libello plurimas observationes suas collegit ne alvorum cultoribus necesse sit apium domicilium aperire ut intellegant quid intus accidat. Nam tectum alvorum auferre minimas inhabitantes semper conturbat cum liceat permulta indicia capere attenta externaque observatione per visum auditumque. Apium cura optima schola est, apiarium quaedam universitas vitae. – L’auteur, un Allemand, a réuni dans ce livret de très nombreuses observations pour que les apiculteurs ne soient pas obligés d’ouvrir une ruche pour comprendre ce qui s’y passe. En effet, ôter le toit de la ruche est toujours perturbant pour ses petites locataires, alors qu’une observation attentive de l’extérieur par la vue et par l’ouïe permet de saisir de très nombreux indices. L’apiculture est un loisir très instructif, le rucher une école de la vie.